"Du fait que l'État, chez nous, est administré dans l'intérêt de
la masse, et non d'une minorité, notre régime a pris le nom de
démocratie"(Périclès).
"Le gouvernement du peuple, tout d'abord, porte le plus beau de tous
les noms : isonomie. Puis, il ne s'y fait rien de ce que fait le
monarque:
on y obtient les magistratures par le sort, on y rend compte de
l'autorité qu'on exerce, toutes les délibérations y sont soumises au
public." (Hérodote)
A tous égards, il y a dans une démocratie plus de douceur de vivre." (Démosthène)
"Cette forme de gouvernement me semble la plus naturelle et la plus
rapprochée de la liberté que la nature donne à
tous les hommes."(Spinoza)
"Ne faudrait-il pas alors considérer le développement graduel des
institutions et des mœurs démocratiques, non comme le meilleur, mais
comme le seul moyen qui nous reste d'être libres" (Alexis de Tocqueville)
"La démocratie
devrait
assurer au plus faible les mêmes opportunités
qu'au plus fort"(Gandhi)
"Le
dogme de la souveraineté vivante, agissante, du peuple dort, depuis les
républiques de la Grèce et de Rome, au fond de la conscience humaine;
il ne fallait, pour en réveiller le souvenir, que l'impuissance bien
constatée des autres modes de gouvernement"
(Ledru-Rollin)
Pourquoi
une histoire du combat pour la démocratie plutôt qu'une histoire de la
démocratie ? Parce que la démocratie authentique ou achevée, celled'un
vrai gouvernement du peuple tout entier, souverain et autonome, composé
de citoyens réellement libres, égaux et se gouvernant eux-mêmes, n'a
pas encore eu d'existence historique. Mise en place par Athénes et de nombreuses cités grecques il y a 2500
ans, la démocratie fut le premier modéle historique connu
d'auto-gouvernance d'une communauté humaine, constituée en cité-Etat
(polis). Cette expérimentation politique, dans un monde où la royauté
était la règle, frappa les contemporains et nous étonne encore
aujourd'hui. Mais elle eut ses limites et ses failles, du fait même de
ce caractère exceptionnel, isolé et en avance sur son temps.
Demokratia signifiait
pour les Grecs de l'Antiquité le pouvoir du peuple et non le
gouvernement du peuple, comme on le traduit généralement. Le terme
kratos était, à l'époque archaïque, réservé au roi et au dieu suprême
(Zeus); il désignait ainsi la toute puissance investie d'un caractère
sacré, alors que que le terme archos ne
désignait qu'un simple commandement. De cette appropriation du pouvoir
par le peuple, dans sa double dimension sacrale et politique, les
citoyens des cités démocratiques grecques en avaient parfaitement
conscience. Ils savaient que la démocratie était le résultat d'un long
processus historique, un achèvement, mais aussi une victoire sur les
oligarques et les partisans de la tyrannie. Ils en connaissaient
l'histoire, avec ses légendes, ses héros, et même son mythe fondateur,
inlassablement racontés par les aèdes, les poètes et les dramaturges.
Les poèmes d'Hésiode, les épopées d'Homère, les tragédies d'Eschyle, de
Sophocle et d'Euripide, et aussi toute l'imagerie représentée par les
monuments, statues, sculptures et peintures, étaient des sources
inépuisables permettant aux athéniens de trouver leurs racines et leur
mémoire. Ce n'est certainement pas un hasard si l'époque des rois qui
régnèrent sur les cités grecques en gestation (entre 1000 et 800 av.
J-C) reste mal connue, et si leurs ancêtres, les rois mycéniens,
connaissaient souvent un destin tragique dans les récits homériques et
les tragédies théâtrales. C'est que les athéniens tenaient à se
démarquer de la royauté, préférant la saga des héros comme Héraclès,
Ulysse es surtout Thésée, le fondateur mythique d'Athènes, qui avait
libéré les grecs du joug crétois et apporté la démocratie à la
cité."Donc
Thésée se rendit dans chaque bourg et dans chaque famille pour les
gagner à son projet. Les hommes du peuple et les pauvres répondirent
vite à son appel. Aux notables, il promit un gouvernement sans roi, une
démocratie où il serait, lui, que le chef de guerre et le gardien des
lois et où, pour tout le reste, les droits seraient également partagés
entre tous. Les uns se laissèrent persuader; les autres,
redoutaient sa puissance déjà considérable, se résignèrent à la suivre,
plutôt que de s'y voir contraindre par la force (...) Il fut, comme le
dit Aristote, le premier qui s'inclina vers la foule et renonça à la
royauté", écrit Plutarque (Thésée, 24, 2 et 26, 3)
Après
la conquête romaine, le terme de démocratie,
remplacé par celui de république, tomba dans l'oubli,
pour ne réapparaître qu'au Siècle des
Lumières, mais en gardant une connotation archaïque.
Montesquieu et
Jean-Jacques Rousseau, tout en reconnaissant les vertus de la
démocratie antique, la jugèrent impossible à
réaliser dans les
États modernes, le verdict de Rousseau étant sans appel :"
À prendre le terme dans la rigueur de l'acception, il n'a jamais
existé de démocratie et il n'en existera jamais." (Du
contrat social, III, 4)
Quant aux révolutionnaires de 1789, ils
préferèrent utiliser le mot de république, quoique
le conflit entre
démocratie représentative et démocratie directe y
ait toujours été
présent. C'est surtout au milieu du XIXe siècle que le
mot démocratie
entra dans le langage de la Gauche politique française,
associé à
socialisme, avec la création du groupe parlementaire
démocrate-socialiste ("démoc-soc") en 1849. Ce groupe
hétéroclite,
formé de socialistes de diverses tendances et de
républicains radicaux,
n'était réuni que par sa volonté de
réaliser la "Démocratie) sociale", désignant alors
le régime politique qui saurait
régler les problèmes de la pauvreté, de
l'exploitation salariale et des
inégalités économiques et sociales (la fameuse
"question sociale").
Mais, avec le succès du livre d'Alexis De Tocqueville intitulé DE LA DÉMOCRATIE
EN AMERIQUE, le mot fut confisqué par les penseurs dits libéraux pour
désigner à la fois un régime politique de type représentatif et une
société respectant les libertés fondamentales de l'individu. Ce qui est
à peu près son sens actuel.
Quant
au "gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple", inscrit
dans l'article 2 de notre constitution de 1958, il reste une illusion,
n'étant pas appliqué réellement, pas plus en France qu'ailleurs. Le
système représentatif et électif de nos prétendues démocraties
occidentales n'est que l'avatar d'une démocratie authentique, adaptée à
notre époque, qu'il reste à concevoir. Celle-ci devrait se rapprocher
de la forme que Cornélius Castoriadis a justement décrite: "La
démocratie suppose l'égalité dans le partage du pouvoir et dans les
possibilités de participation au processus de prise de décision
politique." Mais
le
long combat historique pour la démocratie
ne se limite pas à la réappropriation d'une idée
qui aurait germé comme
par miracle dans la tête des grecs, telle la déesse
Athéna sortant
toute armée du crâne de Zeus. Il a commencé
à l'instant où des hommes
et des femmes ont cherché à s'émanciper de la
tutelle qui leur était imposée par d'autres, ou
simplement
de la limiter, afin de forger leur propre destin. La démocratie
n'est
pas seulement née d'une pensée, son concept s'est enrichi
a l'occasion de chaque émeute,
chaque révolte, chaque révolution. Elle a donné un
but et du sens à
chaque revendication, chaque protestation, chaque manifestation en
faveur de la liberté des peuples et de l'égalité
des hommes. On peut
même aller jusqu'à prétendre que la
démocratie sera achevée le jour où
cesseront les révoltes, car un peuple souverain et autonome ne
peut pas
se soulever contre lui même. C'est pour cette raison que nous
avons
choisi d'aborder tous les types de révoltes, sans nous limiter
aux
révoltes à caractère purement politique. Une
révolte anti-fiscale, une
émeute de la faim ou même un soulèvement à
caractère religieux sont
toujours des révélateurs de malaises sociaux
engendrés par une
structure politique inégalitaire et non démocratique.
Mais
si l'aspiration à la démocratie est spontanée, sa
réalisation s'avère
toujours longue et difficile, progressant souvent par étapes. Il
a
fallu près de deux siècles aux athéniens pour
passer de la royauté à la
démocratie. Entre temps, la cité avait connu des
régimes oligarchiques et la tyrannie, qu'elle aura encore
à subir durant la période tragique de la guerre du
Péloponnèse, avant de retrouver la démocratie.
Quant à l'Europe, il lui faudra près de deux
millénaires avant que ne s'installe durablement une
démocratie encore très imparfaite. Car si ce
régime reste une aspiration universelle, son maintien durable
est toujours menacé. Comme l'a écrit Claude Lefort: "Reste
que les conflits qui traversent la société à tous les niveaux font
toujours voir, par delà le heurt d'intérêts particuliers où risque de
s'abîmer la démocratie, une opposition générale qui fait le ressort de
celle-ci, entre domination et servitude.."(L'invention démocratique, les limites de la domination
totalitaire, Paris, Éd. Fayard, 1981, p.49) La
pérennité de la démocratie nécessite des
efforts collectifs, une vigilance et une inventivité de tous les
instants et il serait vain de penser qu'il puisse exister une
constitution démocratique idéale. La démocratie ne se limite pas à ses
seules institutions, elle est aussi un mode de vie et de pensée, une véritable culture, comme
l'a bien montré Claude Mossé dans son étude de la démocratie
athénienne. [1] Dans une démocratie achevée : "Le
politique, dés lors, ne se contente plus d'exister dans la
pratique institutionnelle : il est devenu "conscience de soi", il
donne à la vie en groupe, aux individus réunis
dans une même communauté, leur caractère proprement
humain." comme le précise Jean-Pierre Vernant [2]
[1]
Notamment dans son ouvrage : Politique et société en
Grèce ancienne : le "modèle" athénien, Paris,
Aubier, 1995.
[2] "Naissance du politique", Athènes et le politique, Bibliothèque Albin Michel Histoire, 2007, p. 23
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